Une année d’Europe

« Une année d’Europe »
Johann Oudot, assistant de service social et Joël Michel, éducateur spécialisé,
Nous pouvons constater que l’addiction est marquée par une forte répétition et par la recherche d’une solution unique, pour le sujet, à travers une consommation de produits psycho-actifs et/ou d’un comportement. La problématique résulte d’une question : Comment permettre à une personne addict de se surprendre ?
L’hypothèse posée consiste à dire que favoriser, chez un sujet addict, la découverte ou la redécouverte de soi, en sortant de son schéma habituel, de manière ponctuelle et/ou progressive, peut permettre à ce dernier de mettre une distance certaine avec ses conduites addictives. Ainsi, l’accès à la culture (et aux vacances), par la mise en place d’une action sociale collective, nous semble apporter un terrain favorable et propice, pour qu’un sujet addict puisse se surprendre.
L’effet de surprise aura notamment pour conséquence de desserrer l’étau, chez le sujet addict, d’un fonctionnement usuel et répétitif. La découverte de soi, de l’autre, favorisant la démarche de soins.
L’action collective, corrélée à un soutien individuel, dans une perspective d’accès à la culture, apparait alors comme un levier, un rouage, un outil prépondérant dans l’accompagnement des personnes présentant une addiction.
L’action s’est déroulée de septembre 2015 à juin 2016. Elle est née d’un échange avec des patients consommateurs de produits psycho-actifs, lors (déjà) d’un mini séjour dans le Ried Alsacien au cours de l’été 2015.

Ceux-ci évoquaient l’idée de partir plus loin. Saisissant la balle au bond, nous avons cherché à savoir ce que cela signifiait pour eux. Très rapidement, il a été question de mer, de soleil, bref de vacances...

Puis connaissant leur passion (et la nôtre…) pour le football, et sans trop y réfléchir, nous avons lancé l’idée d’aller voir un match, à Marseille, de l’Equipe de France lors de l’Euro 2016.
Drôle de défi : Comment donner du sens à ce projet ? Comment peut-il être source de découvertes ? Comment peut-il être support de soins au cours, non seulement d’un nouveau séjour, mais de l’année ?

Avec ce petit groupe de patients volontaires (au départ 6), nous avons décidé de construire à la fois les modalités de cette action (rythme, cadre...) et le programme. D’emblée, il nous semblait important d’y associer chacun. L’idée directrice a été la construction européenne : nous pouvons participer à un évènement sportif de la sorte, seulement car politiquement, les Etats se sont organisés pour maintenir la paix (toujours précaire et relative...).

De plus, habitant Strasbourg, le thème parlait ! Chacun a été invité à évoquer ses représentations de l’Europe, de la citoyenneté. Notre programme mensuel se construisait... (film sur la guerre d’Espagne, lectures de textes sur la montée du nazisme, "visite" du camp de concentration du Struthof, découverte du musée historique de la ville de Strasbourg, de la Cité du train, ateliers cuisine autour de plats européens...).

Parallèlement, nous avons planifié notre séjour à Marseille (le camping, les activités, les dates, le budget, le matériel, les partenaires...) et recherché des places pour voir le match, y compris en contactant directement la Fédération Française de Football (dont nous attendons toujours la réponse...). Finalement, nous avons pu partir avec ce petit groupe de patients, du 12 au 19 juin 2016 en Provence, assister notamment au match de l’Equipe de France à Marseille mais aussi découvrir les calanques en pratiquant de la Via Cordata (et bien d’autres choses encore...).
Cette expérience a été riche d’enseignements pour nous et pour nos patients :
- engagement dans une action et dans la durée
- respect du cadre fixé par le groupe (consommations - paiement d’une participation financière...)
- réflexions autour de la citoyenneté
- capacité à tenir compte de l’autre et à faire avec un groupe

- plaisir de se baigner dans la Méditerranée

- ...
Les effets pour chacun, même s’ils ne sont évidemment pas liés uniquement à cette action (accompagnement individuel - projet de vie...), sont très positifs !
En vrac : maintien dans l’emploi, maintien dans un logement, mise à l’écart de consommations massives, réalisations de démarches administratives, confiance en soi, redécouverte de son corps (prendre soin de soi), estime de soi. L’action a vraiment servi de "booster", de support, au projet de soins de ces patients.