Addictions et violences sexuelles : la double peine des femmes de Stalincrack
PAR ROZENN LE SAINT
MÉDIAPART : ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 24 JUIN 2021
La prostitution forcée et les viols à répétition sont légion pour les consommatrices de crack du nord-est de Paris. Le 30 juin, le jardin d’Éole, où des centaines de toxicomanes se rassemblent, devrait être évacué. Les problèmes, eux, seront simplement déplacés.
Ce matin du 17 juin, c’est une des plus pressées de recevoir sa dose de crack, vendue entre 5 et 20 euros. Laura, 21 ans, est la première femme de la file d’attente qui se forme à 10 heures devant le jardin d’Éole, au nord-est de Paris. Le parc est devenu un marché à ciel ouvert de cette drogue du pauvre, de la cocaïne chauffée avec de l’eau et coupée à l’ammoniac ou au bicarbonate de soude.
Des centaines de consommateurs sont autorisés à s’y rassembler jusqu’à 1 heure du matin, pour soulager le quartier voisin de Stalingrad, dans le XIXe arrondissement de la capitale, à moins d’un kilomètre. L’arrivée du camion de Gaïa, association médico- sociale spécialisée dans la réduction des risques liés à l’usage de drogues à Paris, est attendue. Les éducateurs distribuent des pipes à crack pour limiter les risques de transmission de maladies.
Un tatouage de Betty Boop dépasse du short en jean de Laura, Dr. Martens aux pieds. Son chignon est ramassé au-dessus de sa tête, surplombant son crâne rasé des deux côtés. « J’essaie de venir de moins en moins parce que je suis enceinte. Je me limite à trois fois par semaine », témoigne la jeune femme, toute menue. Impossible de deviner sa grossesse de cinq mois.« Je rentre le ventre quand je suis ici, les riverains seraient capables de me frapper s’ils me voyaient prendre du crack enceinte et je ne veux pas que les associations se mêlent de ma grossesse », explique-t-elle, légèrement en retrait du groupe, le visage fermé.
La plupart des consommatrices, quand elles sont sans logement, voient leur nourrisson placé à la pouponnière après l’accouchement.« Les bébés ne naissent pas en manque de crack, il n’y a pas de transmission de la dépendance comme c’est le cas avec les opiacés. En revanche, c’est tératogène, cela peut malheureusement engendrer des malformations de l’enfant », nous éclaire plus tard Bénédicte Bertin, coordinatrice de l’espace femmes de l’association Charonne.
Il s’agit d’un centre d’accueil, de soins et de prévention en addictologie (Caarud) spécialisé dans l’accompagnement des publics féminins qui « cumulent les problématiques et vulnérabilités », explique la travailleuse sociale. Laura n’y va pas, elle a « la chance d’avoir ses parents » et de pouvoir se réfugier chez eux en Seine-et-Marne pour s’éloigner, quand elle y parvient, de cet îlot de la tentation du nord-est de Paris, unique en France.
Les pires violences, Laura les craint de la part des toxicomanes qui grouillent autour d’elle. « J’évite de me lier avec eux, il y a les plus vicieux du monde ici », glisse-t-elle.Le père de l’enfant qu’elle porte est un modou, un « petit négociant » en wolof, langue la plus parlée au Sénégal. Ils sont reconnaissables à leurs grandes poches remplies de pièces de monnaie que les consommateurs amassent pour se payer une dose.
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